Voltaire (1694-1778), Candide ou l'optimisme, 1759.
chapitre quinzième : COMMENT CANDIDE TUA LE FRÈRE DE SA CHÈRE CUNÉGONDE
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Le baron ne pouvait se lasser d’embrasser Candide, il
l’appelait son frère, son sauveur. - Ah ! peut-être, lui dit-il, nous pourrons
ensemble, mon cher Candide, entrer en vainqueurs dans la ville, et reprendre ma
soeur Cunégonde. - C’est tout ce que je souhaite, dit Candide ;
car je comptais l’épouser, et je l’espère encore. - Vous, insolent ! répondit le baron, vous auriez
l’impudence d’épouser ma soeur qui a soixante et douze quartiers ! Je vous
trouve bien effronté d’oser me parler d’un dessein si téméraire ! Candide,
pétrifié d’un tel discours, lui répondit : - Mon Révérend Père, tous les quartiers du monde n’y
font rien ; j’ai tiré votre soeur des bras d’un Juif et d’un inquisiteur ;
elle m’a assez d’obligations, elle veut m’épouser. Maître Pangloss m’a toujours
dit que les hommes sont égaux, et assurément je l’épouserai. - C’est ce que nous verrons, coquin ! dit le
jésuite baron de Thunder-ten-tronckh, et en même temps il lui donna un grand
coup du plat de son épée sur le visage. Candide dans l’instant tire la sienne
et l’enfonce jusqu’à la garde dans le ventre du baron jésuite ; mais, en
la retirant toute fumante, il se mit à pleurer : - Hélas ! mon Dieu, dit-il, j’ai tué mon ancien
maître, mon ami, mon beau-frère ; je suis le meilleur homme du monde, et
voilà déjà trois hommes que je tue ; et dans ces trois il y a deux prêtres.
Cacambo, qui faisait sentinelle à la porte de la
feuillée, accourut. - Il ne nous reste qu’à vendre cher notre vie, lui dit
son maître : on va sans doute entrer dans la feuillée, il faut mourir les
armes à la main. Cacambo, qui en avait vu bien d’autres, ne perdit point la
tête ; il prit la robe de jésuite que portait le baron, la mit sur le
corps de Candide, lui donna le bonnet carré du mort, et le fit monter à cheval.
Tout cela se fit en un clin d’oeil. - Galopons, mon maître ; tout le monde vous prendra
pour un jésuite qui va donner des ordres ; et nous aurons passé les
frontières avant qu’on puisse courir après nous. Il volait déjà en prononçant
ces paroles, et en criant en espagnol : - Place, place pour le révérend père colonel. » |
QUESTIONS de lecture : haut
1 Comment le jeune baron de Thunder-ten-Tronkh est-il devenu jésuite au Paraguay ?
2 Qu'est-ce qui fait changer son attitude envers Candide ?
3 Quelle est l'idée de Cacambo pour sauver son maître (et lui-même) ?
réponses
fin