Comment
Renart emporta de nuit les bacons d’Ysengrin
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Renart, un matin, entra chez son
oncle, les yeux troubles, la pelisse
hérissée. - Qu’est-ce, beau
neveu ? tu parais en mauvais point, dit le maître du logis ;
serais-tu malade ? - Oui ; je ne me sens
pas bien. - Tu n’as pas
déjeuné ? - Non, et même je n’en ai
pas envie. - Allons donc ! Çà, dame Hersent, levez-vous tout de suite, préparez à ce cher neveu
une brochette de rognons et de rate ; il ne la refusera pas. Hersent quitte le lit et
se dispose à obéir. Mais Renart attendait mieux de
son oncle ; il voyait trois beaux bacons suspendus au faîte de la salle,
et c’est leur fumet qui l’avait attiré. - Voilà,
dit-il, des bacons bien aventurés ! Savez-vous, bel oncle, que si l’un
de vos voisins (n’importe lequel, ils se valent tous) les apercevait, il en
voudrait sa part ? À votre
place, je ne perdrais pas un moment pour les détacher, et je dirais bien haut
qu’on me les a volés. - Bah ! fit Ysengrin,
je n’en suis pas inquiet ; et tel peut les voir qui n’en saura jamais le
goût. - Comment ! si l’on
vous en demandait ? - Il n’y a demande qui
tienne ; je n’en donnerais pas à mon neveu, à mon frère, à qui que ce
soit au monde. Renart n’insista pas ; il
mangea ses rognons et prit congé. Mais, le surlendemain, il revint à la nuit
fermée devant la maison d’Ysengrin. Tout le monde y dormait. Il monte sur le
faîte, creuse et ménage une ouverture, passe, arrive aux bacons, les emporte,
revient chez lui, les coupe en morceaux et les cache dans la paille de son
lit. Cependant le jour
arrive ; Ysengrin ouvre les yeux. Qu’est cela ? le toit ouvert, les
bacons, ses chers bacons enlevés ! - Au secours ! au
voleur ! Hersent ! Hersent ! nous sommes perdus ! Hersent, réveillée en
sursaut, se lève échevelée : - Qu’y a-t-il ?
Oh ! quelle aventure ! Nous, dépouillés par les voleurs ! A
qui nous plaindre ? Ils crient à qui mieux mieux, mais ils ne savent qui accuser ; ils se
perdent en vains efforts pour deviner l’auteur d’un pareil attentat. Renart cependant arrive : il avait bien mangé, il
avait le visage reposé, satisfait. - Eh ! bel oncle,
qu’avez-vous ? vous me paraissez en mauvais point ; seriez-vous malade ?
- Je n’en aurais que trop
sujet ; nos trois beaux bacons, tu sais ? on me les a pris ! - Ah ! répond en
riant Renart, c’est bien cela ! oui, voilà
comme il faut dire : on vous les a pris. Bien, très bien ! mais,
oncle, ce n’est pas tout, il faut le crier dans la rue, que vos voisins n’en
puissent douter. - Eh ! je te dis la
vérité ; on m’a volé mes bacons, mes beaux bacons. - Allons ! reprend Renart, ce n’est pas à moi qu’il faut dire cela : tel
se plaint, je le sais, qui n’a pas le moindre mal. Vos bacons, vous les avez
mis à l’abri des allants et venants, vous avez bien fait, je vous approuve
fort. - Comment ! mauvais
plaisant, tu ne veux pas m’entendre ? je te dis qu’on m’a volé mes
bacons. - Dites, dites toujours. - Cela n’est pas bien,
fait alors dame Hersent, de ne pas nous croire. Si nous les avions, ce serait
pour nous un plaisir de les partager, vous le savez bien. - Je sais que vous
connaissez les bons tours. Pourtant ici tout n’est pas profit : voilà
votre maison trouée ; il le fallait, j’en suis d’accord, mais cela
demandera de grandes réparations. C’est par là que les voleurs sont entrés,
n’est-ce pas ? c’est par là qu’ils se sont enfuis ? - Oui, c’est la vérité. - Vous ne sauriez dire
autre chose. - Malheur en tout cas, dit
Ysengrin, roulant des yeux, à qui m’a pris mes bacons, si je viens à le
découvrir ! Renart ne répondit plus ;
il fit une belle moue, et s’éloigna en ricanant sous cape. Telle fut la première
aventure, les Enfances de Renart. Plus tard
il fit mieux, pour le malheur de tous, et surtout de son cher compère
Ysengrin. |
QUESTIONS de compréhension : haut
1 Qu'est-ce qu'Ysengrin offre à manger à Renart ?
2 Pouvez-vous en déduire un trait de caractère d'Ysengrin ?
Trouvez un autre passage dans le texte qui corrobore votre réponse.
3 Comment est faite la maison d'Ysengrin ? Est-ce une maison de riche ?
4 Comment Renart prépare-t-il sa fourberie ?
5 D'après vous, sur quel trait de caractère d'Ysengrin (et d'Hersent)
s'appuie-t-il pour réussir sa fourberie ?
6 Renart est un fourbe et un voleur. Pourquoi est-il quand-même
sympathique pour le lecteur ? (2 réponses)
7 Quel est l'intérêt de l'emploi du mot « pelisse » au début du texte ?
8 Que pensez-vous de l'emploi de l'adjectif « cher » et du nom
« compère » dans la dernière ligne ?