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ACTE I - SCÈNE 2 (119 lignes)    figure : l'ironie

SCAPIN, OCTAVE, SYLVESTRE.

 

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SCAPIN
Qu'est-ce, seigneur Octave ? qu'avez-vous ? qu'y a-t-il ? quel désordre est-ce là ? Je vous vois tout troublé.

 

OCTAVE
Ah ! mon pauvre Scapin, je suis perdu, je suis désespéré, je suis le plus infortuné de tous les hommes !

 

SCAPIN
Comment ?

 

OCTAVE
N'as-tu rien appris de ce qui me regarde ?

 

SCAPIN
Non.

 

OCTAVE
Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.

 

SCAPIN
Eh bien ! qu'y a-t-il là de si funeste ?

 

OCTAVE
Hélas ! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.

 

SCAPIN
Non ; mais il ne tiendra qu'à vous que je la sache bientôt ; et je suis homme consolatif, homme à m'intéresser aux affaires des jeunes gens.

 

OCTAVE
Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirais t'être redevable de plus que de la vie.

 

SCAPIN
A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m'en veux mêler. J'ai sans doute reçu du Ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces galanteries ingénieuses, à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies ; et je puis dire sans vanité qu'on n'a guère vu d'homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d'intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier. Mais, ma foi, le mérite est trop maltraité aujourd'hui, et j'ai renoncé à toutes choses depuis certain chagrin d'une affaire qui m'arriva.

 

OCTAVE
Comment ? Quelle affaire, Scapin ?

 

SCAPIN
Une aventure où je me brouillai avec la justice.

 

OCTAVE
La justice !

 

SCAPIN
Oui, nous eûmes un petit démêlé ensemble.

 

SYLVESTRE
Toi et la justice ?

 

SCAPIN
Oui. Elle en usa fort mal avec moi, et je me dépitai de telle sorte contre l'ingratitude du siècle, que je résolus de ne plus rien faire. Baste ! Ne laissez pas de me conter votre aventure.

 

OCTAVE
Tu sais, Scapin, qu'il y a deux mois que le seigneur Géronte et mon père s'embarquèrent ensemble pour un voyage qui regarde certain commerce où leurs intérêts sont mêlés.

 

SCAPIN
Je sais cela.

 

OCTAVE
Et que Léandre et moi nous fûmes laissés par nos pères, moi sous la conduite de Sylvestre, et Léandre sous ta direction.

 

SCAPIN
Oui. Je me suis fort bien acquitté de ma charge.

 

OCTAVE
Quelque temps après, Léandre fit rencontre d'une jeune Egyptienne dont il devint amoureux.

 

SCAPIN
Je sais cela encore.

 

OCTAVE
Comme nous sommes grands amis, il me fit aussitôt confidence de son amour et me mena voir cette fille, que je trouvai belle à la vérité, mais non pas tant qu'il voulait que je la trouvasse. Il ne m'entretenait que d'elle chaque jour, m'exagérait à tous moments sa beauté et sa grâce, me louait son esprit et me parlait avec transport des charmes de son entretien, dont il me rapportait jusqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforçait toujours de me faire trouver les plus spirituelles du monde. Il me querellait quelquefois de n'être pas assez sensible aux choses qu'il me venait de dire, et me blâmait sans cesse de l'indifférence où j'étais pour les feux de l'amour.

 

SCAPIN
Je ne vois pas encore où ceci veut aller.

 

OCTAVE
Un jour que je l'accompagnais pour aller chez des gens qui gardent l'objet de ses voeux, nous entendîmes dans une petite maison d'une rue écartée quelques plaintes mêlées de beaucoup de sanglots. Nous demandons ce que c'est. Une femme nous dit en soupirant que nous pouvions voir là quelque chose de pitoyable en des personnes étrangères, et qu'à moins d'être insensibles, nous en serions touchés.

 

SCAPIN
Où est-ce que cela nous mène ?

 

OCTAVE
La curiosité me fit presser Léandre de voir ce que c'était. Nous entrons dans une salle, où nous voyons une vieille femme mourante, assistée d'une servante qui faisait des regrets, et d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle et la plus touchante qu'on puisse jamais voir.

 

SCAPIN
Ah ! ah !

 

OCTAVE
Une autre aurait paru effroyable en l'état où elle était, car elle n'avait pour habillement qu'une méchante petite jupe, avec des brassières de nuit qui étaient de simple futaine, et sa coiffure était une cornette jaune, retroussée au haut de sa tête, qui laissait tomber en désordre ses cheveux sur ses épaules ; et cependant, faite comme cela, elle brillait de mille attraits, et ce n'était qu'agréments et que charmes que toute sa personne.

 

SCAPIN
Je sens venir les choses.

 

OCTAVE
Si tu l'avais vue, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aurais trouvée admirable.

 

SCAPIN
Oh ! je n'en doute point ; et, sans l'avoir vue, je vois bien qu'elle était tout à fait charmante.

 

OCTAVE
Ses larmes n'étaient point de ces larmes désagréables qui défigurent un visage : elle avait, à pleurer, une grâce touchante, et sa douleur était la plus belle du monde.

 

SCAPIN
Je vois tout cela.

 

OCTAVE
Elle faisait fondre chacun en larmes en se jetant amoureusement sur le corps de cette mourante, qu'elle appelait sa chère mère, et il n'y avait personne qui n'eût l'âme percée de voir un si bon naturel.

 

SCAPIN
En effet, cela est touchant, et je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.

 

OCTAVE
Ah ! Scapin, un barbare l'aurait aimée.

 

SCAPIN
Assurément. Le moyen de s'en empêcher !

 

OCTAVE
Après quelques paroles dont je tâchai d'adoucir la douleur de cette charmante affligée, nous sortîmes de là et, demandant à Léandre ce qui lui semblait de cette personne, il me répondit froidement qu'il la trouvait assez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en parlait, et je ne voulus point lui découvrir l'effet que ses beautés avaient fait sur mon âme.

 

SYLVESTRE, à Octave.
Si vous n'abrégez ce récit, nous en voilà pour jusqu'à demain. Laissez-le-moi finir en deux mots. (À Scapin.) Son coeur prend feu dès ce moment. Il ne saurait plus vivre qu'il n'aille consoler son aimable affligée. Ses fréquentes visites sont rejetées de la servante, devenue la gouvernante par le trépas de la mère : voilà mon homme au désespoir. Il presse, supplie conjure : point d'affaire. On lui dit que la fille, quoique sans bien et sans appui, est de famille honnête et qu'à moins que de l'épouser, on ne peut souffrir ses poursuites ; voilà son amour augmenté par les difficultés. Il consulte dans sa tête, agite, raisonne, balance, prend sa résolution : le voilà marié à elle depuis trois jours.

 

SCAPIN
J'entends.

 

SYLVESTRE
Maintenant, mets avec cela le retour imprévu du père, qu'on n'attendait que dans deux mois ; la découverte que l'oncle a faite du secret de notre mariage, et l'autre mariage qu'on veut faire de lui avec la fille que le seigneur Géronte a eue d'une seconde femme qu'on dit qu'il a épousée à Tarente.

 

OCTAVE
Et par-dessus tout cela, mets encore l'indigence où se trouve cette aimable personne et l'impuissance où je me vois d'avoir de quoi la secourir.

 

SCAPIN
Est-ce là tout ? Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle ! C'est bien là de quoi se tant alarmer ! N'as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose ? Que diable ! te voilà grand et gros comme père et mère, et tu ne saurais trouver dans ta tête, forger dans ton esprit, quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires ? Fi ! Peste soit du butor ! Je voudrais bien que l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à duper : je les aurais joués tous deux par-dessous la jambe, et je n'étais pas plus grand que cela que je me signalais déjà par cent tours d'adresse jolis.

 

SYLVESTRE
J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talents, et que je n'ai pas l'esprit, comme toi, de me brouiller avec la justice.

 

OCTAVE
Voici mon aimable Hyacinte.

 

 

Dans cette scène, la figure de style la plus utilisée est l'ironie. 

ironie (n, f) : figure qui consiste à dire l'inverse de ce que l'on pense, de ce que l'on veut exprimer.

  1. Scapin commence par se vanter d'être un habile fourbe (trompeur) en utilisant les mots « gentillesse d'esprit », « galanteries ingénieuses », « noble » (lignes 17-23).
  2. Puis il se plaint de la justice en disant qu'elle l'a traité avec injustice ! « Elle en usa fort mal avec moi », « ingratitude » (lignes 29-31).
  3. Il est ironique aussi à propos de son travail : il n'a pas du tout surveillé Léandre (On le verra surtout après) mais il dit : « Je me suis fort bien acquitté de ma charge. » (ligne 38).
  4. Finalement il reprend les mêmes expressions qu'au début pour se vanter de son habileté à tromper les gens : « ruse galante », « honnête stratagème », « tour d'adresses jolis » (lignes 108-116).
  5. Mais l'ironie se retourne contre lui puisque c'est Sylvestre qui a le dernier mot, en lui montrant qu'il n'est pas si intelligent que cela puisqu'il s'est fait prendre : « je n'ai pas l'esprit (l'intelligence) » de me faire prendre. (lignes 117-118).

(voir aussi le devoir 1, question 9)

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