Voltaire (1694-1778), Candide ou l'optimisme, 1759.
chapitre neuvième : CE QUI ADVINT DE CUNÉGONDE, DE CANDIDE, DU GRAND
INQUISITEUR ET D’UN JUIF
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Cet Issacar était le plus colérique Hébreu qu’on eût
vu dans Israël depuis la captivité en Babylone. - Quoi ! dit-il, chienne de Galiléenne, ce n’est
pas assez de monsieur l’inquisiteur ? Il faut que ce coquin partage aussi
avec moi ? En disant cela il tire un long poignard dont il était toujours
pourvu, et ne croyant pas que son adverse partie eût des armes, il se jette sur
Candide ; mais notre bon Westphalien avait reçu une belle épée de la
vieille avec l’habit complet. Il tire son épée, quoiqu’il eût les moeurs fort
douces, et vous étend l’Israélite roide mort sur le carreau, aux pieds de la
belle Cunégonde. - Sainte Vierge ! s’écria-t-elle, qu’allons-nous
devenir ? Un homme tué chez moi ! si la justice vient, nous sommes
perdus. - Si Pangloss n’avait pas été pendu, dit Candide, il
nous donnerait un bon conseil dans cette extrémité, car c’était un grand
philosophe. À son défaut consultons la vieille. Elle était fort prudente, et
commençait à dire son avis, quand une autre petite porte s’ouvrit. Il était une
heure après minuit, c’était le commencement du dimanche. Ce jour appartenait à
monseigneur l’inquisiteur. Il entre et voit le fessé Candide l’épée à la main,
un mort étendu par terre, Cunégonde effarée, et la vieille donnant des
conseils. Voici dans ce moment ce qui se passa dans l’âme de Candide,
et comment il raisonna : - Si ce saint homme appelle du secours, il me fera
infailliblement brûler ; il pourra en faire autant de Cunégonde ; il
m’a fait fouetter impitoyablement ; il est mon rival ; je suis en
train de tuer, il n’y a pas à balancer. Ce raisonnement fut net et rapide, et
sans donner le temps à l’inquisiteur de revenir de sa surprise, il le perce d’outre
en outre, et le jette à côté du Juif. - En voici bien d’une autre, dit Cunégonde ; il n’y
a plus de rémission ; nous sommes excommuniés, notre dernière heure est
venue. Comment avez-vous fait, vous qui êtes né si doux, pour tuer en deux
minutes un Juif et un prélat ? - Ma belle demoiselle, répondit Candide, quand on est
amoureux, jaloux et fouetté par l’Inquisition, on ne se connaît plus. La vieille prit alors la parole et dit : - Il y a trois chevaux andalous dans l’écurie, avec
leurs selles et leurs brides : que le brave Candide les prépare ;
madame a des moyadors et des diamants : montons vite à cheval, quoique je
ne puisse me tenir que sur une fesse, et allons à Cadix ; il fait le plus
beau temps du monde, et c’est un grand plaisir de voyager pendant la fraîcheur
de la nuit. Aussitôt Candide selle les trois chevaux. Cunégonde,
la vieille et lui font trente milles d’une traite. Pendant qu’ils s’éloignaient,
la Sainte-Hermandad arrive dans la maison ; on enterre monseigneur dans
une belle église, et on jette Issacar à la voirie. Candide, Cunégonde et la vieille étaient déjà dans la
petite ville d’Avacéna, au milieu des montagnes de la Sierra-Morena ; et
ils parlaient ainsi dans un cabaret. |
QUESTIONS de lecture : haut
1 Pourquoi Candide tue-t-il don Issacar ?
2 Pourquoi tue-t-il le grand inquisiteur ?
3 Qu'arrive-t-il aux cadavres des deux hommes ?
4 Que pouvez-vous dire de cela ?
réponses
fin