Voltaire (1694-1778), Candide ou l'optimisme, 1759.
chapitre septième : COMMENT UNE VIEILLE PRIT SOIN DE CANDIDE, ET COMMENT IL
RETROUVA CE QU’IL AIMAIT
1 5 10 15 20 25
30
35
40
45
50
55 |
Candide ne prit point courage, mais il suivit la vieille
dans une masure ; elle lui donna un pot de pommade pour se frotter, lui
laissa à manger et à boire ; elle lui montra un petit lit assez propre ;
il y avait auprès du lit un habit complet. - Mangez, buvez, dormez, lui dit-elle, et que
Notre-Dame d’Atocha, Mgr saint Antoine de Padoue et Mgr saint Jacques de
Compostelle prennent soin de vous : je reviendrai demain. Candide, toujours étonné de tout ce qu’il avait vu, de
tout ce qu’il avait souffert, et encore plus de la charité de la vieille,
voulut lui baiser la main. - Ce n’est pas ma main qu’il faut baiser, dit la vieille ;
je reviendrai demain. Frottez-vous de pommade, mangez et dormez. Candide, malgré tant de malheurs, mangea et dormit. Le
lendemain la vieille lui apporte à déjeuner, visite son dos, le frotte
elle-même d’une autre pommade ; elle lui apporte ensuite à dîner ;
elle revient sur le soir, et apporte à souper. Le surlendemain elle fit encore
les mêmes cérémonies. - Qui êtes-vous ? lui disait toujours Candide ;
qui vous a inspiré tant de bonté ? quelles grâces puis-je vous rendre ?
La bonne femme ne répondait jamais rien ; elle revint sur le soir et n’apporta
point à souper. - Venez avec moi, dit-elle, et ne dites mot. Elle le
prend sous le bras, et marche avec lui dans la campagne environ un quart de
mille : ils arrivent à une maison isolée, entourée de jardins et de
canaux. La vieille frappe à une petite porte. On ouvre ; elle mène
Candide, par un escalier dérobé, dans un cabinet doré, le laisse sur un canapé
de brocart, referme la porte, et s’en va. Candide croyait rêver, et regardait
toute sa vie comme un songe funeste, et le moment présent comme un songe
agréable. La vieille reparut bientôt ; elle soutenait avec
peine une femme tremblante, d’une taille majestueuse, brillante de pierreries
et couverte d’un voile. - Ôtez ce voile, dit la vieille à Candide. Le jeune
homme approche ; il lève le voile d’une main timide. Quel moment !
quelle surprise ! il croit voir Mlle Cunégonde ; il la voyait en
effet, c’était elle-même. La force lui manque, il ne peut proférer une parole,
il tombe à ses pieds. Cunégonde tombe sur le canapé. La vieille les accable d’eaux
spiritueuses ; ils reprennent leurs sens, ils se parlent : ce sont d’abord
des mots entrecoupés, des demandes et des réponses qui se croisent, des
soupirs, des larmes, des cris. La vieille leur recommande de faire moins de
bruit, et les laisse en liberté. - Quoi ! c’est vous, lui dit Candide, vous vivez !
Je vous retrouve en Portugal ! On ne vous a donc pas violée ? On ne
vous a point fendu le ventre, comme le philosophe Pangloss me l’avait assuré ?
- Si fait, dit la belle Cunégonde ; mais on ne
meurt pas toujours de ces deux accidents. - Mais votre père et votre mère ont-ils été tués ?
- Il n’est que trop vrai, dit Cunégonde en pleurant. - Et votre frère ? - Mon frère a été tué aussi. - Et pourquoi êtes-vous en Portugal ? et comment
avez-vous su que j’y étais ? et par quelle étrange aventure m’avez-vous
fait conduire dans cette maison ? - Je vous dirai tout cela, répliqua la dame ;
mais il faut auparavant que vous m’appreniez tout ce qui vous est arrivé depuis
le baiser innocent que vous me donnâtes et les coups de pied que vous reçûtes. Candide lui obéit avec un profond respect ; et
quoiqu’il fût interdit, quoique sa voix fût faible et tremblante, quoique l’échine
lui fît encore un peu mal, il lui raconta de la manière la plus naïve tout ce
qu’il avait éprouvé depuis le moment de leur séparation. Cunégonde levait les
yeux au ciel ; elle donna des larmes à la mort du bon anabaptiste et de
Pangloss ; après quoi elle parla en ces termes à Candide, qui ne perdait
pas une parole, et qui la dévorait des yeux. |
QUESTIONS de lecture : haut
1 Quelle est la différence entre ce chapitre et les précédents, pour Candide ?
2 Condide arrive-t-il à y croire (l. 23-24) ?
réponses
fin