Voltaire (1694-1778), Candide ou l'optimisme, 1759.
chapitre vingt et unième : CANDIDE ET MARTIN APPROCHENT DES CÔTES DE FRANCE ET
RAISONNENT
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- Avez-vous jamais été en France, monsieur Martin ?
dit Candide. - Oui, dit Martin, j’ai parcouru plusieurs provinces.
Il y en a où la moitié des habitants est folle, quelques-unes où l’on est trop
rusé, d’autres où l’on est communément assez doux et assez bête, d’autres où l’on
fait le bel esprit ; et dans toutes, la principale occupation est l’amour,
la seconde de médire, et la troisième de dire des sottises. - Mais, monsieur Martin, avez-vous vu Paris ? - Oui, j’ai vu Paris ; il tient de toutes ces
espèces-là ; c’est un chaos, c’est une presse dans laquelle tout le monde
cherche le plaisir, et où presque personne ne le trouve, du moins à ce qu’il m’a
paru. J’y ai séjourné peu ; j’y fus volé, en arrivant, de tout ce que j’avais,
par des filous, à la foire Saint-Germain ; on me prit moi- même pour un
voleur, et je fus huit jours en prison ; après quoi je me fis correcteur d’imprimerie
pour gagner de quoi retourner à pied en Hollande. Je connus la canaille
écrivante, la canaille cabalante, et la canaille convulsionnaire. On dit qu’il
y a des gens fort polis dans cette ville-là ; je le veux croire. - Pour moi, je n’ai nulle curiosité de voir la France,
dit Candide ; vous devinez aisément que, quand on a passé un mois dans
Eldorado, on ne se soucie plus de rien voir sur la terre que Mlle Cunégonde ;
je vais l’attendre à Venise ; nous traverserons la France pour aller en
Italie ; ne m’accompagnerez-vous pas ? - Très volontiers, dit Martin ; on dit que Venise
n’est bonne que pour les nobles Vénitiens, mais que cependant on y reçoit très
bien les étrangers quand ils ont beaucoup d’argent ; je n’en ai point,
vous en avez, je vous suivrai partout. - À propos, dit Candide, pensez-vous que la terre ait
été originairement une mer, comme on l’assure dans ce gros livre qui appartient
au capitaine du vaisseau ? - Je n’en crois rien du tout, dit Martin, non plus que
de toutes les rêveries qu’on nous débite depuis quelque temps. - Mais à quelle fin ce monde a-t-il donc été formé ?
dit Candide. - Pour nous faire enrager, répondit Martin. - N’êtes-vous pas bien étonné, continua Candide, de l’amour
que ces deux filles du pays des Oreillons avaient pour ces deux singes, et dont
je vous ai conté l’aventure ? - Point du tout, dit Martin ; je ne vois pas ce
que cette passion a d’étrange ; j’ai tant vu de choses extraordinaires, qu’il
n’y a plus rien d’extraordinaire. - Croyez-vous, dit Candide, que les hommes se soient
toujours mutuellement massacrés comme ils font aujourd’hui ? qu’ils aient
toujours été menteurs, fourbes, perfides, ingrats, brigands, faibles, volages,
lâches, envieux, gourmands, ivrognes, avares, ambitieux, sanguinaires,
calomniateurs, débauchés, fanatiques, hypocrites et sots ? - Croyez-vous, dit Martin, que les éperviers aient
toujours mangé des pigeons quand ils en ont trouvé ? - Oui, sans doute, dit Candide. - Eh bien ! dit Martin, si les éperviers ont
toujours eu le même caractère, pourquoi voulez-vous que les hommes aient changé
le leur ? - Oh ! dit Candide, il y a bien de la différence,
car le libre arbitre... En raisonnant ainsi, ils arrivèrent à Bordeaux. |
QUESTIONS de lecture : haut
1 Qu ?
2 Qu?
3 Qu'?
4 Rr.
5 Rr.
réponses
fin