Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), questions : voir le devoir
Paul et Virginie, 1787
[Dans les deux § précédents, qui se trouvent au début du roman, on a lu la description de l'endroit où se trouve le narrateur, près de Port Louis, dans l'Île de France, aujourd'hui l'Île Maurice.]
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J’aimais à me
rendre dans ce lieu où l'on jouit à la fois d'une vue immense et d'une solitude
profonde. Un jour que j'étais assis au pied de ces cabanes, et que j'en
considérais les ruines, un homme déjà sur l'âge vint à passer aux environs. Il
était, suivant la coutume des anciens habitants, en petite veste et en long
caleçon. Il marchait nu-pieds, et s'appuyait sur un bâton de bois d'ébène. Ses
cheveux étaient tout blancs, et sa physionomie noble et simple. Je le saluai
avec respect. Il me rendit mon salut, et m'ayant considéré un moment, il
s'approcha de moi, et vint se reposer sur le tertre où j'étais assis. Excité
par cette marque de confiance, je lui adressai la parole : - Mon père lui dis-je, pourriez-vous m'apprendre
à qui ont appartenu ces deux cabanes ? Il me répondit : - Mon fils,
ces masures et ce terrain inculte étaient habités, il y a environ vingt ans,
par deux familles qui y avaient trouvé le bonheur. Leur histoire est
touchante : mais dans cette île, située sur la route des Indes, quel
Européen peut s'intéresser au sort de quelques particuliers obscurs ? Qui
voudrait même y vivre heureux, mais pauvre et ignoré ? Les hommes ne
veulent connaître que l'histoire des grands et des rois, qui ne sert à
personne. - Mon père,
repris-je, il est aisé de juger à votre air et à votre discours que vous avez
acquis une grande expérience. Si vous en avez le temps, racontez-moi, je vous
prie, ce que vous savez des anciens habitants de ce désert, et croyez que
l'homme même le plus dépravé par les préjugés du monde aime à entendre parler
du bonheur que donnent la nature et la vertu. Alors, comme quelqu'un qui
cherche à se rappeler diverses circonstances, après avoir appuyé quelque temps
ses mains sur son front, voici ce que ce vieillard me raconta. En 1726, un
jeune homme de Normandie, appelé M. de |