Comment Renart ne put
obtenir de la mésange le baiser de paix
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Renart
commençait à se consoler des méchants tours de Chantecler et de Tiecelin
quand, sur la branche d’un vieux chêne, il aperçut la mésange, laquelle avait
déposé sa couvée dans le tronc de l’arbre. Il lui donna le premier salut : J’arrive
bien à propos, commère ; descendez, je vous prie ; -
À vous, Renart ? fait la mésange. Bon, si vous n’étiez pas ce que vous
êtes, si l’on ne connaissait vos tours et vos malices ! Mais, d’abord,
je ne suis pas votre commère ; seulement, vous le dites pour ne pas
changer d’habitudes en prononçant un mot de vérité. -
Que vous êtes peu charitable ! répond Renart, votre fils est bien mon
filleul par la grâce du saint baptême, et je n’ai jamais mérité de vous
déplaire. Mais si je l’avais fait, je ne choisirais pas un jour comme
celui-ci pour recommencer. Écoutez bien : sire Noble, notre roi, vient
de proclamer la paix générale ; plaise à Dieu qu’elle soit de longue
durée ! Tous les barons l’ont jurée, tous ont promis d’oublier les
anciens sujets de querelle. Aussi les petites gens sont dans la joie ;
le temps est passé des disputes, des procès et des meurtres ; chacun
aimera son voisin, et chacun pourra dormir tranquille. -
Savez-vous, damp Renart, dit la mésange, que vous dites là de belles choses ?
Je veux bien les croire à demi ; mais cherchez ailleurs qui vous baise,
ce n’est pas moi qui donnerai l’exemple. -
En vérité, commère, vous poussez la défiance un peu loin ; je m’en
consolerais, si je n’avais juré d’obtenir le baiser de paix de vous comme de
tous les autres. Tenez, je fermerai les yeux pendant que vous descendrez m’embrasser.
-
S’il en est ainsi, je le veux bien, dit la mésange. Voyons vos yeux :
sont-ils bien fermés ? -
Oui. -
J’arrive. Cependant
l’oiseau avait garni sa patte d’un petit flocon de mousse qu’il vint déposer
sur les barbes de Renart. À peine celui-ci a-t-il senti l’attouchement qu’il
fait un bond pour saisir la mésange, mais ce n’était pas elle, il en fut pour
sa honte. -
Ah ! voilà donc votre paix, votre baiser ! Il ne tient pas à vous
que le traité ne soit déjà rompu. -
Eh ! dit Renart, ne voyez-vous pas que je plaisante ? je voulais
voir si vous étiez peureuse. Allons, recommençons ; tenez, me voici les
yeux fermés. La
mésange, que le jeu commençait à amuser, vole et sautille, mais avec
précaution. Renart montrant une seconde fois les dents : -Voyez-vous,
lui dit-elle, vous n’y réussirez pas ; je me jetterais plutôt dans le
feu que dans vos bras. -
Mon Dieu ! dit Renart, pouvez-vous ainsi trembler au moindre mouvement !
Vous supposez toujours un piège caché : Renart
prêche bien sans doute, mais la mésange fait la sourde oreille et ne quitte
plus la branche de chêne. Cependant voici des veneurs et des braconniers, les
chiens et les coureurs de damp abbé, qui s’embatent de leur côté. On entend
le son des grailes et des cors, puis tout à coup : Le goupil !
le goupil ! Renart, à ce cri terrible, oublie la mésange, serre la
queue entre les jambes, pour donner moins de prise à la dent des lévriers. Et
la mésange alors de lui dire : -
Renart ! pourquoi donc vous éloigner ? La paix n’est-elle pas jurée ?
-
Jurée, oui, répond Renart, mais non publiée. Peut-être ces jeunes chiens ne
savent-ils pas encore que leurs pères l’ont arrêtée. -
Demeurez, de grâce ! je descends pour vous embrasser. -
Non ; le temps presse, et je cours à mes affaires. |
QUESTIONS de compréhension : haut
1 Quelle est la taille de la mésange ?
2 Qu'est-ce que Renart prétend vouloir ?
3 Le croyez-vous ? Que veut-il en réalité ?
4 Qui est le plus malin, dans cette scène ?
5 D'après vous, sur quel trait de caractère de Renart la mésange
s'appuie-t-elle pour parvenir à se moquer de lui ?
6 Malgré la domination de la mésange, Renart perd-il la face ?
7 D'après vous, pourquoi le narrateur fait-il gagner la mésange ?
8 Qu'est-ce que la « paix jurée » ?