ACTE I - SCÈNE 3 (84 lignes)
HYACINTE, OCTAVE, SCAPIN, SYLVESTRE
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HYACINTE Ah ! Octave, est-il
vrai ce que Sylvestre vient de dire à Nérine, que
votre père est de retour et qu'il veut vous marier ? OCTAVE Oui, belle Hyacinte, et ces nouvelles m'ont donné une atteinte
cruelle. Mais que vois-je ? vous pleurez ? Pourquoi ces
larmes ? Me soupçonnez-vous, dites-moi, de quelque infidélité, et
n'êtes-vous pas assurée de l'amour que j'ai pour vous ? HYACINTE Oui, Octave, je suis sûre
que vous m'aimez, mais je ne le suis pas que vous m'aimiez toujours. OCTAVE Eh ! peut-on vous
aimer qu'on ne vous aime toute sa vie ? HYACINTE J'ai ouï dire, Octave, que
votre sexe aime moins longtemps que le nôtre, et que les ardeurs que les
hommes font voir sont des feux qui s'éteignent aussi facilement qu'ils
naissent. OCTAVE Ah ! ma chère Hyacinte, mon coeur n'est donc pas fait comme celui des
hommes, et je sens bien, pour moi, que je vous aimerai jusqu'au tombeau. HYACINTE Je veux croire que vous
sentez ce que vous dites, et je ne doute point que vos paroles ne soient
sincères ; mais je crains un pouvoir qui combattra dans votre coeur les
tendres sentiments que vous pouvez avoir pour moi. Vous dépendez d'un père
qui veut vous marier à une autre personne, et je suis sûre que je mourrai si
ce malheur m'arrive. OCTAVE Non, belle Hyacinte, il n'y a point de père qui puisse me
contraindre à vous manquer de foi, et je me résoudrai à quitter mon pays, et
le jour même, s'il est besoin, plutôt qu'à vous quitter. J'ai déjà pris, sans
l'avoir vue, une aversion effroyable pour celle que l'on me destine, et, sans
être cruel, je souhaiterais que la mer l'écartât d'ici pour jamais. Ne
pleurez donc point je vous prie, mon aimable Hyacinte,
car vos larmes tuent et je ne les puis voir sans me sentir percer le coeur. HYACINTE Puisque vous le voulez, je
veux bien essuyer mes larmes, et j'attendrai d'un oeil constant, ce qu'il
plaira au Ciel de résoudre de moi. OCTAVE Le Ciel nous sera
favorable. HYACINTE Il ne saurait m'être
contraire, si vous m'êtes fidèle. OCTAVE Je le serai assurément. HYACINTE Je serai donc heureuse. SCAPIN, à part. Elle n'est pas tant sotte,
ma foi, et je la trouve assez passable. OCTAVE, montrant Scapin. Voici un homme qui pourrait
bien, s'il le voulait, nous être dans tous nos besoins d'un secours
merveilleux. SCAPIN J'ai fait de grands
serments de ne me mêler plus du monde, mais, si vous m'en priez bien fort
tous deux, peut-être... OCTAVE Ah ! s'il ne tient
qu'à te prier bien fort pour obtenir ton aide, je te conjure de tout mon
coeur de prendre la conduite de notre barque. SCAPIN, à Hyacinte. Et vous, ne me dites-vous
rien ? HYACINTE Je vous conjure, à son
exemple, par tout ce qui vous est le plus cher au monde, de vouloir servir
notre amour. SCAPIN Il faut se laisser vaincre
et avoir de l'humanité. Allez, je veux m'employer pour vous. OCTAVE Crois que... SCAPIN, à Octave. Chut ! (À Hyacinte.) Allez-vous-en, vous, et soyez en repos. (À
Octave.) Et vous, préparez-vous à soutenir avec fermeté l'abord de votre
père. OCTAVE Je t'avoue que cet abord me
fait trembler par avance, et j'ai une timidité naturelle que je ne saurais
vaincre. SCAPIN Il faut pourtant paraître
ferme au premier choc, de peur que, sur votre faiblesse, il ne prenne le pied
de vous mener comme un enfant. Là, tâchez de vous composer par étude. Un peu
de hardiesse, et songez à répondre résolument sur tout ce qu'il pourra vous
dire. OCTAVE Je ferai du mieux que je
pourrai. SCAPIN Là, essayons un peu pour
vous accoutumer. Répétons un peu votre rôle, et voyons si vous ferez bien. Allons.
La mine résolue, la tête haute, les regards assurés. OCTAVE Comme cela ? SCAPIN Encore un peu davantage. OCTAVE Ainsi ? SCAPIN Bon ! Imaginez-vous
que je suis votre père qui arrive, et répondez-moi fermement, comme si
c'était à lui-même. « Comment ! pendard, vaurien, infâme, fils
indigne d'un père comme moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux après tes
bons déportements, après le lâche tour que tu m'as joué pendant mon
absence ? Est-ce là le fruit de mes soins, maraud, est-ce là le fruit de
mes soins ? le respect qui m'est dû ? le respect que tu me
conserves ? » Allons donc ! « Tu as l'insolence, fripon,
de t'engager sans le consentement de ton père, de contracter un mariage
clandestin ? Réponds-moi, coquin ! réponds-moi ! Voyons un peu
tes belles raisons ! » Oh ! que diable ! vous demeurez
interdit ? OCTAVE C'est que je m'imagine que
c'est mon père que j'entend. SCAPIN Eh ! oui ! C'est
par cette raison qu'il ne faut pas être comme un innocent. OCTAVE Je m'en vais prendre plus
de résolution, et je répondrai fermement. SCAPIN Assurément ? OCTAVE Assurément. SYLVESTRE Voilà votre père qui
revient. OCTAVE, s'enfuyant. Ô Ciel ! Je suis
perdu ! SCAPIN Holà ! Octave,
demeurez, Octave ! Le voilà enfui ! Quelle pauvre espèce
d'homme ! Ne laissons pas d'attendre le vieillard. SYLVESTRE Que lui dirai-je ? SCAPIN Laisse-moi dire, moi, et ne
fais que me suivre. |